Longue est la route de cet exil qui mène à soi...

Thu, 05/10/2007 - 00:33 -- Samira
Longue est la route de cet exil qui mène à soi...

Une femme, un homme
Au cœur de la modernité
A l’observer, à le comprendre, notre monde paraît inaccessible. Les jours passent et confirment la folie des hommes. Emportés, ici, par la technique et le bruit, ils vivent de la vitesse, de l’informatique, de la musique et du cinéma... alourdis, là-bas, par la faim et l’ennui, ils survivent dans l’attente, dans l’espoir, dans le silence... comme au cinéma d’ici. Les temps modernes ont, pour nos mémoires, le souci de l’image. Et l’infinie négligence de la réalité et du sens.
A l’Orient comme à l’Occident, notre époque donne naissance à la plus grande famine jamais constatée sur la terre. La torture des corps fait écho à la souffrance des âmes : les corps et les cœurs ont faim d’humanité. La pauvreté, l’errance, les dictatures, les guerres bafouent chaque jour la dignité de plusieurs milliards de femmes et d’hommes. La solitude, l’individualisme, la misère morale, le manque d’amour rongent l’être de tous ceux que le confort devait contenter. Où est la voie ? Où allons-nous ? Comment être une femme, comment être un homme aujourd’hui ?
Comment, au cœur de cette tourmente, répondre à notre cœur et protéger la spiritualité qui nous fait être ? Comment, sur les ruines de tant de déséquilibres, enfanter l’équilibre et l’harmonie qui apaisent les cœurs ? Comment rester fidèle au pacte de l’origine quand la modernité nous rend si infidèles à notre humanité ? Mémoire du premier matin :
"Quand ton Seigneur tira des reins d’Adam sa descendance et les fit témoigner : ’Ne suis-je pas votre Seigneur ?’ -Ils répondirent : ’Certes, nous en témoignons’ "

Coran 7/172
Ce témoignage, qui vit au plus profond des cœurs, qui nous parle et nous appelle. Notre cœur est notre espoir ; la spiritualité est notre chemin :
"Ce ne sont pas les yeux qui sont aveugles, mais les cœurs, dans les poitrines"

Coran 22/46
Chercher, au fond de soi, la force de voir, de voir vraiment... Etre avec Dieu pour lire ses signes, vivre de son souvenir pour s’emplir d’humilité, donner à la nuit sa lumière et prier à voix haute dans un infini silence :
"Nous allons faire descendre sur toi une parole de grand poids : la prière du début de la nuit laisse une empreinte plus forte et permet une attention plus soutenue ; tu as, dans la journée, de nombreuses occupations. Invoque le nom de ton Seigneur ; consacre-toi à lui de tout ton être. Il est le Seigneur de l’Orient et de l’Occident ; il n’y a de Dieu que lui"

Coran 73/5-9
Donner vie à son cœur est difficile, tellement. Le quotidien du monde nous vole à nous-mêmes. Au point, parfois, de rendre double notre personnalité et de nous déchirer. J’ai ce souvenir, si présent à mes yeux... une image, en Tunisie, en Egypte, en Inde, aux Etats-Unis, en Europe...à l’Orient comme à l’Occident. Vendredi et jours de semaine : le déchirement du monde musulman est là.
La foule. La communauté. La ferveur. L’espoir et les meilleures intentions. Le plus beau jour de la semaine, le jour de tous les symboles. Le sermon, le rappel du sens, les yeux mouillés, les larmes du cœur... Le monde de l’islam vibre : en ce vingt et unième siècle comme au début du septième, Dieu est témoin de cette force de la foi. Vendredi...les mosquées s’épanchent, les rues sont mosquée, la terre est mosquée. La Ummah est là. Le pauvre et le riche, l’informaticien et l’analphabète, témoins du même témoignage, étanchant la même soif.
Samedi, dimanche, lundi et le reste. Cinq heures du matin, midi ou quatre heures... Le sommeil est lourd, les occupations pré-occupent. Tant de silences vendredi, tant de mots les autres jours. Tant de vérité, puis tant de mensonges ; tant d’espoirs, puis tant de plaintes ; tant de volonté, puis tant de paresse. Il y avait la mémoire, il reste l’oubli. Il y avait tant, il reste si peu. Jours de semaine : le quotidien a ses raisons qui ont raison de notre fidélité. Notre époque est une torture. La spiritualité est une épreuve.
Vendredi et jours de semaine. La blessure est profonde. D’aucuns, observant les vanités de ce monde, emprunteront les voies de la mystique... loin du monde, loin des ambitions, loin des conflits. Nourris, à la lumière de la seule Lumière. En Occident, on a même considéré que tel était "le véritable islam", l’ "autre islam" ; celui qui force le respect, quand il est un islam qui agresse les esprits. Il faudrait vivre loin, pour vivre mieux ; délaisser les hommes pour s’approcher de Dieu. Notre époque semble donner raison au sens de cet exil.
Les soufis, par leur contemplation, par leur exil intérieur, par leur éloignement du monde, ont suivi, et suivent encore, l’exemple de Muhammad (BPSL) qui passait des nuits entières en prière, en recueillement, à embellir sa mémoire, à approfondir sa reconnaissance, à parfaire son adoration. Les larmes, nées de la méditation, faisaient apparaître les signes dans l’univers. La présence du sacré :
"Il y a, dans la création des cieux et de la terre, dans la succession des jours et des nuits, des signes pour ceux qui sont doués d’intelligence. Ceux qui se souviennent souvent de Dieu, debout, assis ou couchés et qui méditent sur la création des cieux et de la terre"

Coran 3/190-191
Au cœur de notre quotidien agité, noyé dans les occupations les plus envahissantes, faire un pas en arrière, s’exiler au centre de soi, chercher la force de sa mémoire, aimer et reconnaître, remercier et prier... dans le bruit, chercher le silence et vivre avec force le sens de ces mots :

"Sois sur la terre comme un étranger, ou un passant"[1]
Cette spiritualité est la nôtre, avec ses exigences également, au cœur de notre quotidien. Il s’agit de ne rien nier de notre être, ni notre corps, ni notre esprit, ni cette vie, ni l’au-delà. L’épreuve de la spiritualité est l’épreuve de l’équilibre ; la voie du "juste milieu" est la voie de toutes les difficultés. Certains ne veulent que la vie de ce monde, et ils se perdent :
"Parmi les hommes, il en est qui disent : ’Notre Seigneur, accorde-nous les biens de ce monde’ ; mais ils n’auront aucune part dans la vie future"
D’autres, à la mesure de leur humanité, veulent être ici pour mieux être là-bas :
"Parmi les hommes, il en est qui disent : ’Notre Seigneur ! accorde-nous des biens en ce monde et des biens dans la vie future"

Coran 2/200-201
Vivre au quotidien, travailler, s’engager. Mettre sa foi à l’épreuve de ses actions, de ses colères, de ses déceptions. Etre avec Dieu, parmi les hommes et donner à ce que l’on a, le sens de ce que l’on est :
"Recherche, au moyen des biens que Dieu t’a accordés, la demeure dernière. Ne néglige pas ta part de la vie de ce monde. Sois bon comme Dieu est bon pour toi. Ne recherche pas la corruption sur la terre. Dieu n’aime pas ceux qui sèment la corruption"

Coran 28/77
Etre de tout son être dans cette vie et porter le témoignage de sa foi par l’action de justice et de bonté. Ne rien refuser de ce que l’on est pour être de tout son être. Devant Dieu, pour les hommes :
"Le meilleur des hommes est celui qui est le plus utile aux hommes"[2]
Pourtant, notre époque nous met au défi.La société du divertissement et de la consommation à outrance, l’individualisme généralisé coexistent avec le dénuement le plus extrême, la misère la plus totale. Devant ces fatalités, où est le sens ? Emplis du souvenir de Dieu, à quelle source, au cœur de cette modernité, pourrons-nous étancher notre soif ?
Chacun connaît les détours de cette vie qui tue quelque chose en nous : assis devant les écrans de télévision, assommés par des torrents d’informations, paralysés par l’ampleur des fractures. Dire Dieu, et vivre sans vie. Perdre son esprit parce que l’on perd son cœur. Jour après jour.
On aimerait pourtant tellement savoir être un homme, pouvoir être une femme. Devant Dieu, dans le miroir de sa conscience, dans le regard de ceux qui nous entourent. On souhaiterait tellement trouver la force d’embellir ses pensées, de purifier son cœur. Vivre dans la sérénité, cheminer dans la transparence. C’est l’espoir de tous, c’est l’attente de chacun : la paume des mains orientées vers le ciel, patiemment. Au cœur de la modernité.
Un homme, une femme. Etre, simplement ; être bon et faire le bien. Quel homme n’a-t-il pas espéré être pour sa compagne l’horizon de ses attentes ; marcher sur la même rive et, de tendresse et de pardon, faire de leur union un signe : un couple qui soit à l’humanité ce que le soleil est à la nature. Chaleur et signe de la création. Quelle femme n’a-t-elle pas voulu, de cette même volonté, être pour l’époux l’énergie du chemin. Au cœur de la modernité.
Quelle mère, quel père, quels parents n’ont-ils pas espéré pour leur enfant l’espace le plus harmonieux, la famille la plus unie, la force intérieure la plus libératrice. Qui n’a-t-il jamais espéré voir dans les yeux de son fils ou de sa fille, au fond de leur cœur, l’étincelle qui dit la reconnaissance et la conviction qui fait la foi ? Quel fils, quelle fille n’ont-ils pas désiré vivre entre deux êtres portés par leur amour, nourris par leurs valeurs, forts de leur cohérence. Au cœur de la modernité.
Des choses si simples dans une époque si troublée. Etre bon, et faire le bien. Devant Dieu. C’est le sens de cet appel, scandé plus de dix-sept fois par jour, hier comme aujourd’hui, au cœur de la modernité :
"Guide-nous (ô Dieu) sur la voie de la droiture"

Coran 1/6
Cheminer sur la voie droite, la voie du juste milieu, se souvenir de Dieu et garder en son cœur le sens des valeurs et des finalités. Cheminer, cheminer toujours, malgré les écueils et les adversités, malgré les injustices et les horreurs, espérer en Dieu pour ne pas désespérer des hommes et des événements. Cheminer, cheminer encore, essayer d’être un homme, essayer d’être une femme, simplement. Dans la transparence, dans la clarté, accepter ses faiblesses et son humanité, au cœur du pardon trouver la force de son humilité. Etre humble, pour être, au cœur de la modernité. Et la mémoire, et le rappel :
"Souviens-toi de ton Seigneur, en toi-même, à mi-voix, avec humilité, avec crainte, le matin et le soir. Ne sois pas au nombre de ceux qui sont négligents. Ceux qui demeurent auprès de ton Seigneur ne se considèrent pas trop grands pour l’adorer. Ils le glorifient et ils se prosternent devant lui"

Coran 7/205-206
Face à tous les individualismes inhumains, face à tous les réflexes de consommation, face à toutes les illusions télévisuelles ou cinématographiques, face à toutes les négligences... en refusant toutes les injustices, en s’opposant à toutes les exploitations, en luttant contre toutes les misères... dire, et affirmer avec détermination, la force de cette humilité et de cette confiance en Dieu. Infiniment. Dans l’action, chercher la route ; avec la patience s’armer de lumière. Dans la fraternité des hommes contre la société des individus, dans l’union des libertés contre l’égoïsme des indépendances. La voie droite, au cœur de la modernité : notre spiritualité, en notre cœur, est au cœur de la vie.
Refuser la négligence. Et entendre, entendre du plus profond des âges, entendre et écouter, la voix de l’ancien esclave Bilal appelant le fidèle à sa fidélité, par jour cinq fois, et pour l’éternité. Chercher, dans l’écho de cette voix, au rythme des prières... chercher et trouver la direction, la voie. Au cœur de la modernité.
[1] Hadîth rapporté par Bukhârî

[2] Hadîth (hassan) rapporté par al Qadâ’î et a’ Dâraqutnî

Tariq Ramadan

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