La vie est bleue

Mon, 09/03/2007 - 20:15 -- Samira
La vie est bleue

« J'avais besoin de marcher. La tête dans les nuages je me faisais bousculer par les passants pressés qui s'obstinaient à vouloir descendre les boulevards et les rues que je remontais, passants agglutinés les uns aux autres à la recherche d'un réconfort inaccessible ou par peur de se sentir trop seul. Je regardais les façades travaillées de certains vieux immeubles, qu'atlantes et cariatides ornaient parfois, lorsque ce n'étaient pas des têtes de lions, des dauphins ou d'étranges arabesques. Sans savoir toujours où j'allais mais bercée de souvenirs précieux j'arpentais Paris comme une voyageuse fatiguée. Rien n'avait vraiment d'importance, si ce n'est entretenir une mélancolie des plus délicieuses, subtil mélange de désir, de sérénité, de plénitude et de tristesse acceptée. Au bout du chemin des amis chers m'entoureraient de leur bienveillance, alcôve où je me réfugierais le temps d'une accolade, d'une nuit ou de quelques jours avant de repartir vers ailleurs, profondément heureuse d'aimer et d'être aimée. J'irais peut-être ensuite rendre visite à l'un de mes arbres préférés, dans cette forêt tranquille du Nord. J'évoquerais avec lui la vie du moment; foulant la mousse et les premières feuilles mortes de ce début d'automne je laisserais monter en moi la sève des rêves d'enfant, des sensations enfouies et des désirs secrets, et je m'abandonnerais aux parfums d'humus et de terre mouillée en songeant à une autre humidité de plaisir, plus troublante celle-là.

Une autre histoire. Rien n'est près, rien n'est loin. Peut-être que tout est loin alors. Je ne sais pas. Je n'en suis pas sûre. Ce soir j'ai regardé la lune et j'ai pensé que tous ceux qui regardent la lune au même moment ne sont pas si loin les uns des autres. Ne serait-ce que par la pensée, ou les émotions qu'ils éprouvent de concert. J'aime la lune, peut-être parce que j'aime la nuit. Je trouve toujours incongru de voir apparaître la lune en plein jour, au hasard d'un ciel clair. Enfin tout cela n'est pas bien grave. Rien n'est près, rien n'est loin. Aujourd'hui vous m'êtes loin et pourtant proche. Funambule des sentiments arpentant sans filet un filin tendu entre deux points, ouvrez les guillemets. Tribune libre d'un cœur ouvert en mal de confident nocturne. J'écoute cette chanson de Charles Trénet "Il y avait des arbres…". Il y en a toujours d'ailleurs, et de l'amour aussi. Souvenir de votre peau sous mes mains, de vos mains sur ma peau, de nos mains sur nos mains. Tout le monde peut se toucher, mais ce n'est pas toujours touchant. Sourires surpris, et votre voix pleine de promesses. Beauté de votre regard ouvert sur la vie, cheveux sauvages, et légèreté anachronique. Dormir, et faire l'amour comme s'il s'agissait de goûter un thé rare et capiteux. Le reste peut attendre.

Comment dire… Je ne pense pas que les choses doivent se passer d'une manière et non d'une autre; et surtout pas de la façon dont on imagine qu'elles peuvent se passer ou qu'elles devraient se passer. Je crois que les choses se passent, tout simplement. Il n'y a pas de passion froide, ni d'amour raisonnable. Je ne pense pas qu'il faille envisager le pire sous prétexte qu'on ne sait pas comment la vie va évoluer et qu'on redoute la direction qu'elle pourrait prendre. Je crois qu'il faut accepter une part d'improvisation sans laquelle l'existence serait trop triste, accepter d'apprendre à découvrir un autre soi-même enfoui quelque part sous un rapport trop rituel au quotidien. Si j'essaye de rendre la vie plus belle, moins anodine et peut-être moins brutale, je suis néanmoins en prise chaque jour sur le réel, avec lequel je me bas assez violemment en coulisse pour qu'il laisse mes amours, mes amis et mes proches en paix. Le désespoir est souvent l'apanage de ceux qui sont confrontés à ce qu'ils n'avaient pas jusque-là appréhendé. Il faut ouvrir les yeux et regarder ce qui se passe autour de soi, en tirer des leçons comme Adrien Zograffi, le héros de Panaït Istrati, et préserver ceux qu'on aime de la tyrannie de la bêtise. L'attention, l'écoute, la vigilance, la disponibilité, me semble un prix bien faible à payer en regard du bonheur d'une main posée en retour sur l'épaule. Je vous sens inquiet en ce moment, peu fier de jouer un double-jeu où finalement le plaisir d'un abandon se délite dans l'énergie passée à recoller les morceaux. J'aimerais vous convaincre que le cadeau de notre rencontre est mérité. Vivons cette complicité, cette association de bienfaiteurs comme un élan de liberté qui nous emmène plus loin et non pas comme une entrave secrète à gérer au quotidien. Quelle chance de se sentir aimé et compris quelque part, là, ailleurs, quand tout le monde sommeille (…) La vie est pleine de rebondissements, le monde plein de projets, ne nous endormons pas sur des lauriers à peine cueillis par crainte de perdre je ne sais quoi de trivial. Vivons, soyons là où nous sommes, avec les gens que nous accompagnons ou qui nous accompagnent, aimons-les, aimons-nous, et savourons cette pensée de nos esprits, de nos mains qui se cherchent, se trouvent, s'égarent en plaisirs, et bientôt se retrouveront. Ayez confiance en l'avenir, n'ayez pas peur de vous, ni de moi, ni de nous, ni des autres. Je sais, je suis d'habitude plus évasive ou métaphorique, mais il faut parfois évoquer les forces qui nous animent. Mes bras vous attendent et n'auront de cesse de vous rassurer. Si vous me manquez, je préfère vivre ce manque que ne jamais vous avoir rencontré. J'aime quand la vie a du goût. J'aime les vagues qui vous prennent et vous emmènent et vous font rouler et vous étourdissent, j'aime les tempêtes de vent, les orages, les nuits sans lune et les nuits de pleine lune, les parfums ambrés et musqués, le goût du sel sur la peau, la vigueur du piment, la boisson de Bourgogne, de Touraine, d'Espagne et de partout où il est bon. J'aime les hommes secrets, les matins ensoleillés, les jours de pluie, les feux de bois, les auberges à la campagne, les péniches qui passent, les montgolfières qui s'évadent, les îles de Bretagne, les oreillers en plumes, les chemisiers en coton ou en lin, et les tartes aux pommes. J'aime flâner, rencontrer, imaginer, dormir, faire l'amour, chanter, partir, revenir, peindre, cuisiner, danser, écrire, rêver, découvrir, succomber (au charme), plaire, comprendre, et être libre. J'ai une certaine tendance à me transformer en tornade lorsque je me laisse aller à mes sentiments, un peu comme ces poètes slaves qui ne peuvent vivre ni décrire autre chose que des situations extrêmes. Je suis un mélange de patience et d'impatience, de raison et d'utopie… Je ne demande rien, et tout en même temps. J'ai besoin de tout, et de rien en même temps. J'ai envie d'harmonie, que les gens différents pensent quelques instants dans la même direction. Je crois aux sympathies électives, aux aspirations durables, au plaisir d'avoir l'impression, soudain, de comprendre ou d'être compris. Je crois aux désirs partagés, au bonheur de profiter du temps qui passe tandis que d'autres s'échinent à mourir plus vite. J'ai la sensation anachronique qu'il ne sert à rien de courir. Tout cela m'enchante, et me fatigue parfois. En fait, sous des airs de tourmentée en proie aux affres du doute, je dois être une incorrigible optimiste…

- Jean-Paul Bernard

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